Cet homme a été condamné à la réclusion perpétuelle. Il est seul dans une petite cellule. Il n'a plus de famille pour venir le voir. Il se sent l'être le plus solitaire et le plus malheureux de la terre.
Pendant les cinq premières années, il a en vain tenté de se suicider. Puis il végète dans un accablement profond, sans jamais parler à ses gardiens. Il n'est plus qu'une loque qui mange et dort mécaniquement.
Mais un beau jour, une fourmi entre dans sa cellule par la fenêtre, et à son réveil il l'aperçoit sur l'oreiller. Le lendemain, elle est encore là. Et tous les autres jours de la semaine. Alors il se décide à la regarder marcher, il lui donne des miettes de pain, il la prend dans sa main et il commence à lui parler.
Au bout d'un mois, une étrange amitié est née entre l'homme et l'insecte, une complicité extraordinaire s'est établie. Il lui raconte sa vie. Elle l'écoute. Il la caresse. Elle dort avec lui.
Des années passent ainsi et un soir, la fourmi est si heureuse d'être aimée qu'elle se met à sauter de joie dans le rai de lumière qui tombe à travers les barreaux. Alors l'homme, ébloui, l'embrasse délicatement et décide de la faire sauter un peu plus haut. Puis encore plus haut... Enfin, il lui apprend à faire des sauts périlleux.
Dix années passent encore, et maintenant l'homme obtient de la fourmi un fabuleux numéro de cirque. De son côté, la fourmi lui a appris à développer son odorat et sa résistance au froid. Et l'intimité est devenue si grande entre eux que dans ce grand bonheur l'homme a complètement oublié qu'il était en prison.
Alors la porte s'ouvre et on annonce au prisonnier qu'il bénéficie d'une remise de peine et qu'il est libre ! Il n'en croit pas ses oreilles... Il sort de la prison avec sa fourmi pour tout bagage. Il lui explique qu'ils vont partir ensemble à la découverte du monde et que tout va devenir encore plus merveilleux. Il ne se sent plus de joie.
Il entre dans le bistrot en face de la prison, commande un demi et pose amoureusement sa fourmi sur le comptoir. Il éprouve le besoin immédiat de la montrer à quelqu'un et de raconter sa bouleversante histoire. Il appelle le barman et lui désigne la fourmi du doigt.
- Regardez ! dit-il, les yeux embués de larmes.
Le barman se penche.
- Oh ! excusez-moi, monsieur, ce n'est qu'une fourmi.
Et avec le pouce, il l'écrase.